Discutons

« Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n'en rêve votre philosophie. »

Je souscris sans réserve à cette citation de Shakespeare, ayant moi-même déjà expérimenté cet adage.

C’était il y a quelques années, par une belle matinée de printemps. Je voyageais dans l’est de la France, pour visiter de la famille proche. N’étant pas un adepte forcené des autoroutes, j’empruntais toujours des itinéraires improbables, qui rallongeaient mon voyage de découvertes parfois insolites.

Je me rappelle bien de ce petit village en bord de Marne, dans lequel je m’étais arrêté pour acheter un sandwich. L’église, une maison de maître en guise de mairie, un parking bordé d’arbres, des maisons serrées et un bar-tabac-épicerie constituaient le centre du village, traversé par une route  départementale à la fréquentation anecdotique.

Un grand panneau de bois, avec des lettre peintes défraichies « Café - Tabac-Épicerie », annonçait à l’improbable voyageur, l’espoir d’une bière et d’une boîte de pâté.

En poussant la porte vitrée, je pénétrais dans le cœur social de la bourgade. La salle de bar était tout en longueur, et un comptoir « à l’ancienne », en zinc et formica, courrait d’un bout à l’autre du café. Une odeur de cave à vin flottait dans l’air, mélange de bois humide et de Côtes-du-rhône spécial cuvée du patron. A cette heure, midi, je m’attendais à ce que l’établissement soit rempli, apéro oblige. Mais il n’y avait que quatre personnes : le tenancier qui discutait avec trois clients au comptoir.

Je m’asseyais alors sur un des tabourets en faux cuir usé, et saluait le patron derrière le comptoir (médisant certes, mais poli) Celui-ci, petit bonhomme trapu à la moustache proéminente, me gratifia d’un « qu’est ce que vous voulez » peu amène, visiblement dérangé dans sa discussion polémique avec ses clients habituels. J’eu cependant gain de cause et réussit à obtenir un demi et un sandwich beurre-sec, fait maison, au demeurant savoureux. Tout en mangeant, je laissais trainer mes oreilles vers mes voisins, qui débâtaient  politique, avec un instinct polémique remarquable.

A l’époque, j’avais l’habitude de noter sur un carnet les choses qui me semblaient importantes, et je reprends ici le peu que j’ai pu inscrire de cette conversation à laquelle je n’ai pas participé, mais dont la teneur et l’esprit m’avaient fortement marqué.

(Client 1)

- Et tes vaches, tu va les vendre ? C’est des bonnes laitières, tu vas pas les faire en viande ?

(Client 2)

- Je sais pas. J’ai pas le temps, avec leurs normes de merde. De toute manière, finit l’élevage.

(Patron)

- C’est ce que je te disais, cette putain d’Europe, elle nous emmerde…

(Client 3 – peut être le Maire de la commune)

- Faut pas dire ça, l’Europe elle doit bien faire les même normes pour tout le monde…

(Patron)

- j’lui ai rien demandé moi, de toute manière, je suis contre.

(Client 1)

- C’est vrai, on est en France, quoi…

(Client 2)

- Ben oui, c’est comme pour la betterave…

(Client 3)

- Pourquoi ?

(Client 2)

- Mais si, les taxes, et tout ça…

---- Silence de quelques secondes ----

(Patron)

- Et toi, tu peux dire à quoi ça sert l’Europe ?

(Client 3) (Client 1) (Client 2)

- …………

Je tiens à m’excuser pour la brièveté de cette conversation, mais, ayant retranscrit, une fois revenu dans ma voiture, ce dont ma pauvre mémoire se souvenait, je n’ai pas pu noter la suite, hélas.

J’ai ressorti cette discussion de mes carnets, car la date à laquelle elle s’est déroulée est presque emblématique : avril 2005. Un mois plus tard, un certain référendum devait demander aux français leur avis éclairé sur le projet de constitution européenne.

Quantum sapio…